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Une infirmière ordinaire
Une infirmière ordinaire
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Orage en été

Orage en été

Je passe l'entrée des urgences en brancard, masque à oxygène sur le visage, entourée de pompiers. Un peu choquée. La patiente dont je m'occupe vient de passer la porte aussi, pas vraiment sous le choc en ce qui la concerne mais perdue et très angoissée.


C'était une belle journée d'été, c'est à dire sans pluie et dans la région c'est LE critère. En général cette période est plutôt calme et les demandes ne se bousculent pas. Les chirurgiens sont en vacances comme certains de nos patients qui partent quelques jours voir semaines chez leurs enfants.
Ma tournée avait bien commencé. En début de matinée, j'arrive chez Mme Rome, Une femme âgée mais encore valide et qui vit seule avec un peu d'aide. Nous passons la voir tous les jours. Sa maison se trouve dans un petit lotissement aux abords de la ville. Il est animé par les familles qui y habitent et la solidarité entre voisin existe. Malgré cela Mme Rome se sent seule, très seule, beaucoup trop. Ancienne commerçante, elle ne peut plus sortir faire ses courses, se promener, aller voir des amies. D'ailleurs une partie d'entre elles sont à la maison de retraite communale, non loin d'ici. Elle aimerait les rejoindre, elle en parle souvent mais voilà ses enfants ne sont pas d'accord, pas tout de suite. L'incompréhension s'est installée et chaque partie campe sur ses positions, en attendant elle reste chez elle, face à la solitude.
Alors ce matin là, Mme Rome a décidé d'en finir, ou du moins d'appeler au secours, de faire réagir. Pour cela il fallait taper fort d'autant plus fort que l'on entendait pas sa parole, son avis. Alors elle a ouvert le gaz et attendu...
Et ce matin là, je suis arrivée un peu plus tôt que d'habitude, car j'avais moins de travail. J'ai eu très peur d'abord pour ma patiente, je ne savais pas depuis combien de temps elle respirait ces émanations et puis une fois que les secours sont arrivés je me suis rendue compte du danger dans lequel j'avais mis les pieds et ce qui aurait pu arriver.
Mme Rome a été prise en charge, soignée et a rapidement intégré la maison de retraite qu'elle avait choisie.
Quant à moi, plus secouée qu'intoxiquée, j'ai vécu ma première gazométrie côté patient (aïe) et surtout je me suis posée beaucoup de questions: qu'aurais-je pu faire en amont pour éviter ça?
Nous sommes bien impuissants face à ces conflits familiaux qui se jouent autour des personnes âgées que l'on a en soins... Appuyer leur avis, s'allier avec le médecin traitant... ça ne suffit pas, c'est très compliqué parfois. En général c'est la famille qui veut placer son aïeul en institution mais il faut savoir que l'inverse existe, le combat n'est pas moindre et les conséquences peuvent être graves.
Aujourd'hui, je travaille avec cet épisode dans un coin de la tête et il me rappelle chaque jour combien le temps d'observation et d'écoute est important, primordial pour savoir repérer les signes précurseurs d'actes de désespoir. Je ne sais pas si j'aurais pu faire quelque chose mais ce que je sais désormais c'est que je ne veux plus jamais avoir à me poser cettequestion.

Orage en été