Dix heures. Les corps s'éveillent, doucement, dans ce petit appartement qui rassemble plusieurs générations. L'amour est aussi présent dans l'atmosphère que l'évidence de la place de chacun au sein du foyer quelques soient les difficultés et la brutalité d'une vie qui ne les a jamais épargnés. Au bout d'une poignée d'années, la confiance mutuelle installée, nous, soignants, y avons trouvé notre place et savons la patiente que nous suivons entourée et soutenue.
Plus tard dans la matinée, la voiture me mène à quelques rues d'ici.
Passée la porte puis le hall d'entrée, le froid et l'humidité attaquent. Les murs semblent trembler autant que les corps qui osent encore emprunter l'escalier qui mène à l'étage.
Il est là, au milieu d'une pièce à moitié vidée de ses meubles, au milieu du peu qui reste d'une vie passée qui finalement ne lui appartient plus. La mort a brisé le lien. Il faut partir, la maison ne lui appartient pas. Il y est maintenant tout juste toléré. Mais pas tout de suite, ce n'est pas possible, alors il attendra là, que les jours passent avec l'espoir d'un changement rapide.
Il est difficile de ne pas se souvenir de la chaleur qui emplissait cette pièce et du sourire qui l'illuminait il y a encore peu de temps. Nous sommes ici, sans pourtant baisser les bras et loin d'abandonner, parfaitement impuissants face à ce qui est en train de se jouer.
La famille peut être le lien qui sauve, celui qui uni et protège quand tout s'écroule mais elle peut aussi être à l'inverse d'une cruauté et d'une violence sans nom entraînant dans l'abîme, par son rejet, celui ou celle désigné comme n'ayant plus sa place.
L'essentiel de notre métier réside dans l'appréhension globale de l'autre, de l'homme ou de la femme que l'on a face à nous mais aussi sa famille, son entourage proche. Passer d'un domicile à un autre, d'un foyer à un autre, c'est franchir parfois des fossés profonds et mentalement appréhender ces différences comme étant parties intégrantes de notre société.
Au delà du soin, les besoins d'accompagnement ne sont pas les mêmes d'une porte à une autre même si seulement quelques centaines de mètres les séparent.
Le lien social vers l'extérieur est le fil conducteur que l'on crée, qui se tisse au gré des passages, d'une prise en charge ayant pour point de départ l'amélioration ou le maintien de la santé, de l'intégrité physique ou mentale du patient.
Il nous faut sans cesse jongler avec les moyens, les histoires et les fantômes qu'on ne peut chasser.
Il nous faut soigner mais pas seulement.