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Une infirmière ordinaire
Une infirmière ordinaire
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Laurie : regard sur la psychiatrie.

Laurie : regard sur la psychiatrie.

Il n'est pas tout à fait sept heures. Le cendrier, plein, est encore chaud.
Laurie s'allume une cigarette et souffle. Ses yeux sont entourés de noir, son maquillage semble avoir été oublié sur son visage depuis plusieurs jours et fond petit à petit sur son teint le rendant encore un peu plus gris et chargé. L'atmosphère est lourde, imprégnée par la fumée et l'humidité d'un appartement surchauffé et probablement rarement aéré.
D'une main tremblante elle se sert un café puis lève le regard vers moi, un centième de seconde à peine et le baisse.
Avant de préparer son traitement, je lui demande comment s'est passée la nuit malgré qu'il soit simple de deviner la réponse.
" Je n'ai pas vraiment dormi ". Sa voix est cassée, à peine audible.
Laurie est jeune, une toute jeune adulte, aspirée dans le tourbillon d'une pathologie psychiatrique qui malmène son esprit et son corps au grès de trop nombreuses crises.
Quand elle n'est pas hospitalisée, elle vit dans un appartement qu'elle n'a pas choisi et n'arrive pas vraiment à investir. Elle est suivie par un psychiatre, en ville, et puis il y a nos passages quotidiens, garants de l'observance d'un traitement relativement lourd.
Nous ne connaissons pas vraiment son histoire, des bribes seulement : un peu de ce qu'elle réussi à nous livrer, à son rythme. Il y a beaucoup de souffrance : la souffrance de l'instant et celle qui s'est accumulée au fil du temps faute d'avoir pu être soulagée.
La violence de la maladie, imprévisible dans son intensité et si difficile à soulager en constitue une grande partie et il y a la solitude, l'isolement... La honte.
Laurie lutte, mène un combat que mènent tant d'hommes et de femmes que la société oublie, met de côté voire enferme et surtout stigmatise.
La maladie psychiatrique n'est pas reconnue, il y a encore et peut être plus que jamais dans un contexte de course effrénée à la réussite sociale un regard culpabilisant envers les personnes qui en souffrent. Elle inspire la peur, le dégoût, le mépris ou, au mieux la pitié dans un monde où la tolérance est limitée voire dictée par des normes qui ne laissent que peu de place à la différence et cela même dans le cadre de la Santé.
Il y a peu de moyens, de moins en moins, pour aider toutes les personnes comme Laurie à s'en sortir et à relever la tête pour combattre la maladie. Il y a pourtant des soignants : médecins psychiatres, généralistes, infirmiers et accompagnants formés, compétents et bienveillants mais trop peu nombreux pour exercer dans des conditions correctes et faire fonctionner de façon efficace les réseaux ville-hôpital.
Tous les jours nous suivons des patients souffrant de pathologies psychiatriques parfois lourdes, souvent très isolés et qui malgré l'image négative dont ils sont victimes font preuve de beaucoup de courage. Ces personnes devraient pouvoir accéder aux soins qu'ils soient d'ordre psychique ou somatique simplement et sans avoir à craindre ni jugement ni rejet.
Mais au fil du temps, le constat est de plus en plus amer.
Ce matin, après avoir effectué la poignée de minutes quotidienne de présence infirmière qui est accordée à Laurie pour ses soins, je referme la porte accompagnée d'un sentiment que je commence à bien connaître depuis que j'exerce ma profession et d'autant plus en libéral : l'impuissance.
Ce sentiment d' impuissance se mélange à l'écœurement et l'incompréhension d'un système de soins qui est en train de perdre l'essentiel de son sens : l'humanité.
Nous, soignants, assistons atterrés au démembrement de ses valeurs dans une société où la fraternité n'est plus qu'un concept illustrant de jolis discours pour mettre quelques poignées de paillettes sur une réalité bien sombre.
Ne nous laissons pas éblouir et surtout ne fermons pas les yeux pour préserver au mieux les moyens que nous avons encore en notre possession pour aider les patients les plus fragiles.

Laurie : regard sur la psychiatrie.